Celui qui danse

celui qui danse

Celui qui danse

La main de Samba tremble lorsqu’il attrape sa tasse. Le liquide fumant le réchauffe. De sa main à ses orteils puis jusqu’à son scalp, la chaleur se répand partout, le réconforte. Une voix trop familière l’interpelle. Ensuite une main garnie de bagouses dorées pose devant lui une coupelle de carton remplie de bonbons multicolores.

Tu parles de confiseries ! Des pilules pour la tension trop haute, le sucre trop haut, ou le cœur trop bas. Le cœur trop bas… quelle expression. Tout monte trop à la vieillesse sauf le cœur qui baisse, baisse, baisse, baisse comme si la gravité y est pour quelque chose. Qu’elle est conne cette expression. Le cœur des vieux ne baisse pas, au contraire il s’envole disait Rose qui avait toujours raison.

Puis elle ajoutait que ce n’était pas leur cœur qui subissait la gravité, et elle enlevait son soutien-gorge. Alors ils riaient au milieu des regards de reproches autour d’eux.

Maintenant lorsqu’il la regarde, il ne voit qu’un vaisseau vide. Son esprit a quitté son corps qui vit coincer dans un fauteuil en forme d’œuf.

— Monsieur Samba, votre traitement, insiste la main pleine de bagouses.
Elle lui met le gobelet sous le nez.
— C’est pour votre cœur.

Samba soupire. Rien à faire, on ne peut pas discuter avec bagouses. Elle est gentille bien sûr, mais ses pilules, il n’en veut plus. Samba alors se lève difficilement, mais avec détermination. Ses jambes flageolent, ses pieds chancellent, ses genoux tremblent, ses hanches craquent. Une fois debout, il décide du rythme. Ce sera un quatre-quatre rapide, une samba.

Ses pieds froufroutent au contact des charentaises sur le sol en plastique. Pas pratique, ces machins pour danser, mais s’il essaye de les envoyer valser, il risque la chute. Alors ce sera fini avec la danse.
Il chante à tue-tête et traverse la salle commune sur un rythme de cake comme disait Rose. Quatre-quatre ou quatre-quarts c’est pareil ou presque.

Solange tripote ses bagues en regardant le vieux qui danse. La soignante est fatiguée de ce cirque. Depuis que la maladie de madame Rose s’est aggravée, monsieur Samba danse à chaque prise de médicament. Il en fallait de la patience pour le convaincre d’avaler ses pilules, et elle n’y arrive pas souvent.

Solange le comprend pourtant. Elle aussi préférerait surement danser plutôt que d’ingurgiter ces machins sans avoir une bonne raison de le faire. Madame Rose était la raison de monsieur Samba. Alors maintenant qu’elle vit retirée dans son monde d’œuf, monsieur Samba danse pour la rejoindre.

©Priss

Ps: tous mes écrits sont disponibles sur la machine à écrire

Pps: texte créé à partir d’une piste d’écriture proposé dans le cadre d’un atelier, pour en savoir plus cliquer ici

Ppps : crédit photo Nashua Volquez-Young