Incompréhension

Incompréhension 1

Incompréhension marine.

Serrée dans une salopette de velours sombre, elle avance avec un creux dans son ventre. La main de sa mère lui échappe. La fillette se retrouve parmi des pantalons ou des jupes de toutes les couleurs. Il y a beaucoup de bruits, les rires qui s’envolent ou les cris qui font mal.

La main la rattrape enfin pour l’amener jusqu’à une ribambelle de cageots remplis de choux-fleurs, ou de petits pois, tout ce qu’elle aime voir dans l’assiette des autres, mais pas dans la sienne.

Un bonhomme salue sa maman. Tous deux discutent un long moment. La fillette s’ennuie, elle baille. Distraite, par sa salopette qui gratte, elle regarde autour d’elle. Des bribes de la conversation lui parviennent, et passent jusqu’à ce que le monsieur parle de ses veaux, ceux qu’il élève « sous la mère ».


La fillette ouvre des yeux ronds. Extraordinaire ! Elle ignorait que les veaux savaient nager, encore plus fort qu’ils peuvent vivre dans le fond de l’océan. Elle se représente tout un troupeau délaissant les prés pour s’aventurer dans les rouleaux.

Ils plongent jusqu’à une cavité sous un rocher, ou peut-être une porte cachée sous le sable. Elle s’entrebâille et là à la queue leu leu, les animaux y entrent un par un. Leurs pattes fines pédalent dans l’eau, puis la porte se referme. La fillette les imagine dans des champs vastes d’algues marines. Ils jouent, courent, s’amusent, libres.

Mais quand même, pourquoi ont-ils quitté leurs mères ? Ce ne sont que des enfants comme elle ? Peut-être qu’elle pourrait, elle aussi, s’y réfugier comme ça finit les choux-fleurs, les petits pois ou les salopettes qui grattent. Le seul problème reste de pouvoir respirer sous l’eau. Les enfants humains ne savent pas faire cela, les poissons, les coquillages ou même les crabes, et bien sûr les veaux. « C’est vraiment trop injuste, se dit la fillette en louchant sur les petits pois. Je préférerais manger des algues moi aussi. »

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Ce n’est pas l’océan mais ce n’est pas loin. Si tu as deviné de quel endroit il s’agit, écrit le en commentaire.


L’été suivant à la plage de Mimizan, elle disparaît de plus en plus longtemps sous l’eau. Sa mère s’inquiète, car elle se rappelle de ce film le Grand Bleu où ça finit mal pour le héros. Et puis tous ces rouleaux, sans parler des baïnes, alors elle la gronde, lui interdit de s’amuser à faire de l’apnée, l’oblige à rester sur le bord. La fillette pleure tellement qu’elle ne respire plus. Tout le monde les regarde. La mère embarrassée l’interroge, mais ne comprend pas plus. Sa petite fille lui raconte une sombre histoire de veaux qui mangeraient des algues sous la mer. N’importe quoi !

©Priss

Ps : d’autres textes, d’autres univers, d’autres rêves dans la machine à écrire.

Pps : Crédit photo d’illustration de l’article ©Anna Lowe: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/l-herbe-verte-2446873/

Pps : crédit photo du petit jeu : @ Priss