Dolorès
Petite, j’ai trouvé, un jour, dans mon placard une petite fille encore plus petite que moi. Elle était vraiment minuscule, de la taille d’un doigt.
— Qui es-tu ? ai–je demandé
— Dolorès
— Tu veux jouer ?
— Oui
Ensuite elle a sourit. C’était un drôle de sourire, mais à l’époque je ne m’en suis pas aperçue. J’étais une enfant de huit ans ; c’est déjà assez grand mais pas assez pour se méfier de ce genre de sourire.
Dolorès me suivait partout. Seulement les autres ne pouvaient pas la voir. Lorsque j’en parlais, mes amies riaient, mes parents me disaient :
— Vas-tu arrêter tes bêtises ?!
Plus grande, les autres enfants me trouvaient étrange à cause de Dolorès. Ils m’évitaient, sauf Alex ma meilleure copine. J’aurais pourtant aimé m’amuser avec mes camarades de classe. Mais ils avaient peur de moi, enfin surtout de cette Dolores qu’ils ne pouvaient pas voir. Alors, je jouais souvent seule ou bien avec elle. Bien sûr, cela me rendait triste. Dans ces moments-là, ma Dolorès grandissait un peu. Un jour, je me suis aperçue qu’elle poussait encore plus lorsque j’étais en colère.
Un après-midi, ma meilleure, ma seule copine, Alex s’est fâchée contre moi à cause de ne je ne sais plus trop quoi. Elle m’a traitée de folle en racontant que Dolorès n’existait pas, qu’en fait je parlais toute seule. Ce jour-là ma très-grande-colère-tristesse a fait grossir Dolorès d’un coup ! Elle est devenue aussi grande que moi. Elle a ensuite tiré les cheveux d’Alex si fort qu’ils sont restés dans ma main.
Alex a hurlé, ma mère était furieuse contre moi, Dolorès était très contente et moi aussi ! Enfin pas longtemps. Alex ne m’a plus parlé. Elle ne voulait plus me voir. Ce soir là, je me suis sentie très seule et très triste. Dolorès, elle, a encore grandit : elle prenait même toute la place dans mon lit.
A partir de ce moment-là, elle m’a montrée les quatre cents coups, ou plutôt les quatre milles coups comme disait mon père. À chaque fois que j’étais triste, Dolorès grandissait et je faisais des bêtises de plus en plus grave. Une fois nous nous sommes même enfuis de la maison plusieurs jours. Quelle histoire ça a fait.
Personne ne comprenait ni ne voyait cette Dolorès qui me faisait faire tant de bêtises. Moi, je n’avais qu’elle pour me tenir chaud des autres enfants cruels, mais surtout des adultes qui ne comprenaient rien. Dolorès en était arrivée à toucher le plafond avec sa tête tellement elle était grande. Elle prenait vraiment trop de place.
Un jour où Dolorès et moi avions repeinte toute ma chambre en noir, ma mère m’a inscrite à un cours de peinture. Apparemment, ça ne lui avait pas plu le noir. En arrivant dans ce cours, une dame me salue. Elle me montre des couleurs et un chevalet. Dolorès veut tout toucher, tout prendre, elle peint n’importe quoi en ricanant, moi aussi. La dame vient vers moi, elle regarde la peinture puis dit les yeux sur le chevalet :
— Elle est vraiment très grande ta Dolorès !
Alors là le choc. J’en ai laissé tomber le reste de couleurs par terre. Mais quelle joie. Enfin.
Dolorès a même rétrécit de quelques centimètres ; comme ça d’un coup !
A la fin du cours, la dame a discuté avec mes parents en leur disant que ce n’était pas possible de vivre correctement avec une si grande Dolores. Ils pleuraient tellement lorsqu’ils ont vu mon tableau, que je me suis un peu inquiétée : « Mince, j’espère que leur Dolorès ne va pas trop grandir ! ». On en avait bien assez d’une seule aussi grande dans la maison.
Mais la dame m’a expliqué ensuite que les Dolores de mes parents ne pourraient pas grandir comme la mienne. Les enfants sont plus puissants que les adultes c’est bien connu, c’est pareil pour leurs Dolores. Elles ne grandissent pas aussi vite. Bon, il paraît que certains adultes ont des Dolores d’enfant qu’ils cachent ou qu’ils tiennent à la bonne taille. « Il faut apprendre » a-dit-la dame en me faisant un clin d’oeil. Cette dame doit avoir une Dolorès quelque part…
Chaque semaine j’allais au cours de couleurs pour peindre, chaque semaine Dolorès rétrécissait. Parfois, elle grandissait encore un peu quand on se moquait de moi, ou que mes parents ne me comprenaient pas. Cela arrivait surtout pendant l’été quand la dame partait en vacances.
Il fallait attendre la rentrée pour que Dolorès rétrécisse encore. Petit à petit elle est redevenue petite comme le doigt. Un été, elle n’a plus grandi. A la rentrée, elle avait complètement disparu : je ne m’en étais même pas aperçue. J’avais passé de merveilleuses vacances ailleurs où je parlais de couleurs dans une autre langue.
Lors de cette rentrée, j’assistais la dame à son cours pour débutant. au premier cours de l’année, un petit garçon sauvage a débarqué en trombe. Il était accompagné d’une Dolores immense. Plus grande que la mienne ne l’avait jamais été. Je n’ai pas pu m’empêcher de l’interroger :
— Dis-donc cette Dolorès tu l’as depuis longtemps non ? Qu’est ce qu’elle est grande !
Il était étonné et bien content. Et devinez ce que sa Dolorès a fait ?
©Priss